Trois leçons de ski pour économistes débutants

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Les vacances de neige sont propices à l’enseignement de l’économie de la concurrence. Des monopoles locaux, les écoles de ski, battus en brèche ; des fournisseurs de chaussures, fixations et planches qui détiennent un pouvoir de monopole ; des opérateurs de remontées mécaniques qui jouent leur survie par manque de neige. Si vous lisez cette série de leçons jusqu’au bout, vous obtiendrez votre première étoile d’économie.

Leçon 1 : Il y a des bons et des mauvais monopoles

Sur la Côte Ouest des États-Unis, une seule école de ski est présente dans les stations, qu’elles soient de grande étendue comme Vail ou de taille plus modeste comme Beaver Creek. L’enseignement du ski ou du snow-board bénéficie d’un monopole local. Étonnant pour le pays qui a inventé le droit de la concurrence ! En revanche dans la plupart des stations italiennes, vous pouvez faire votre choix entre plusieurs écoles, certaines spécialisées dans telle méthode d’apprentissage, d’autres dans tel type de glisse, ou encore s’adressant à telle catégorie de skieurs. En France aussi le jeu est ouvert malgré les apparences tellement l’École de Ski Français et ses moniteurs en combinaison rouge dominent le marché.

La situation américaine s’explique par une raison géographique et juridique. L’usage des pistes sur les terres forestières fédérales ainsi que d’autres services associés est attribué à des concessions exclusives. C’est en revanche est une anomalie économique, car l’enseignement de la glisse n’est pas un monopole naturel. Expliquons-nous. Rien de plus normal de compter une seule entreprise de remontées mécaniques dans les stations, par exemple la STVI à Val-d’Isère. Pourquoi ? Parce qu’une seule entreprise captant toute la demande produit à moindre coût que plusieurs entreprises – du fait de fortes économies d’échelle, par exemple. Cette propriété, dite dans le jargon économique de sous-additivité des coûts, est caractéristique des industries de réseau.

Le Lioran est la plus ancienne station de ski d’ Auvergne.
Vincent Desjardins/Flickr, CC BY

Il serait coûteux de dupliquer les lignes électriques de haute-tension de l’hexagone, le tunnel sous la Manche ou les autoroutes Rhône-Alpes. Ce monopole naturel est vertueux. Il l’est d’autant plus dans le cas des remontées mécaniques qu’il subsiste des pressions sur le prix du forfait. La municipalité ou le propriétaire de la station veillent, car l’attractivité de la station, et donc ses recettes, baissera si le forfait est trop cher. L’opérateur doit aussi tenir compte des offres rivales de stations voisines ou comparables.

En revanche, un monopole de l’enseignement de la glisse n’a rien de naturel. En enrôlant tous les élèves de la station, une école ne bénéficiera pas d’un coût unitaire de la leçon plus faible que s’il y avait plusieurs écoles. Les économies d’échelle sont vite atteintes, car les coûts fixes (guichet d’accueil, équipement du parc pour tout-petits, etc.) sont très modestes. Le monopole ne présente ici que des désavantages. Le prix des leçons sera plus élevé, car empilant une marge plus forte, la rente de monopole, sur un coût lui-même plus grand, car faute de l’aiguillon de la concurrence, le monopole n’est pas incité à le réduire. Pour la même raison, la qualité et la variété des cours seront moindres.

C’est bien ce dont les amateurs de glisse et les blogueurs américains se plaignent. C’est aussi ce qu’expliquent la multiplication d’instructeurs indépendants dans les stations des Rocheuses et leur chasse par les écoles locales.

Rappelez-vous comment en France l’arrivée d’écoles de ski alternatives, à l’instar d’Évolution 2 ou de l’ESI, a permis d’élargir la palette des enseignements offerts et conduit l’ESF à se soucier plus de la satisfaction de ses clients et à améliorer la qualité de ses propres prestations.

Leçon 2 : Pire qu’un monopole, deux monopoles

Imaginez qu’il y n’y ait un seul fabricant de fixations de ski et qu’un seul fabricant de planches au monde. Le consommateur serait alors confronté à deux monopoles, car des planches sans fixations ou des fixations sans planches ne lui servent à rien. Ce cas de figure de deux monopoles consécutifs a donné lieu à un théorème économique désormais bien ancien, mais toujours aussi étonnant. Il date de 1838. Il a été énoncé et démontré par un mathématicien, économiste et philosophe français, Antoine-Augustin Cournot.

Ce théorème prédit que si les deux monopoles fusionnent le profit sera plus grand, mais que le prix du bien sera plus bas, et non pas plus haut ! Les actionnaires et les consommateurs sortent donc tous les deux gagnants de l’opération. Le rapprochement entre nos deux fabricants hypothétiques se traduit ainsi par un prix final des skis plus faible que la somme du prix des planches et du prix des fixations lorsqu’ils étaient fixés séparément par les entreprises. Ce résultat contre-intuitif se comprend mieux si vous songez que les monopoles successifs appliquent chacun une marge de monopole et qu’une fois fusionnés, une seule marge de monopole subsiste. La fusion met fin à une double marginalisation.

Skis.
Oyvind Solstad/Flickr, CC BY

Mais que vient faire ici ce théorème ? Il y a plein de fabricants de skis ! Oui, mais ils ne sont pas si nombreux et surtout ils proposent des biens différenciés, ce qui leur confère un pouvoir de monopole. Il est certes moins fort que celui du monopole pur, mais il est suffisant pour que le théorème de Cournot reste valide.

Les deux premières entreprises du ski détiennent près de la moitié du marché. Leur nom, Amer Sports et Jarden, ne vous dira rien. Ce sont des grands groupes diversifiés aux nombreuses marques (Salomon, Atomic, Dynamic, Arc’Teryx pour le premier ; K2, Völkl, Marker et Dalbello pour le second). Ils sont suivis par des groupes spécialisés dans les produits sportifs de montagne, mais également multimarques : Rossignol, qui contrôle aussi Dynastar, Lange, Kerma et Look, et Tecnica qui contrôle aussi Nordica, Blizzard et Moon Boot.

La différenciation des skis ne se résume évidemment pas aux marques. Au Vieux Campeur et pour le seul ski alpin vous trouverez 87 modèles en catalogue. Deux économistes, étudiant la diversité de ce produit, recensent pour l’Europe plus de 500 modèles disponibles sur le marché. Ils diffèrent par de nombreuses caractéristiques techniques (matériau, poids, coefficient de carving…), d’usage (slalom géant, descente, hors-piste…), d’utilisateurs (débutants, experts, compétiteurs…) et d’apparence (couleurs, graphisme…). La gamme de prix est également étendue. Cette différenciation très poussée permet aux fabricants d’éviter une concurrence frontale. Elle confère à chacun un pouvoir de monopole, dit aussi pouvoir de marché, car chaque modèle est d’une certaine façon unique et donc imparfaitement substituable.

L’industrie du ski a connu une série de fusions et acquisitions par diversification verticale. Les uns cherchant à se développer sur l’activité des autres : des fabricants de planches de ski ont racheté des fabricants de fixations (Rossignol et Look en 1994) et des fabricants et de chaussures (Rossignol et Lange en 1989) ; des fabricants de chaussures ont acquis des fabricants de planches (Tecnica et Nordica en 2003, puis Blizzard en 2006) ; des fabricants de fixation se sont réunis avec des fabricants de planches (Head et Tyrolia en 1985) et des fabricants de planches ont même aussi mis la main sur des fabricants de bâtons (Dynastar et Kerma en 1987).

Toutes ces opérations ont permis d’éviter la multi-marginalisation au bénéfice des consommateurs. Aujourd’hui, la plupart des équipementiers du skieur proposent planches, fixations et chaussures et les consommateurs s’en trouvent mieux. (Ils sont aussi diversifiés sur bien d’autres produits, par exemple des vêtements de ski, des raquettes de tennis et des chaussures de foot, mais la logique de cette intégration n’est pas d’effacer les doubles marges, car les achats de ces produits par le consommateur ne sont pas proportionnels.)

Leçon 3 : Entrée, sortie, et tricherie

Pour comprendre la concurrence, l’économiste débutant peut être tenté de se raccrocher à la compétition biologique ou à la compétition sportive qu’il connaît mieux. Il apprendra en cours de perfectionnement que la concurrence économique est d’une autre nature. Mais peu importe pour l’instant, car ces parallèles servent la pédagogie.

Comme dans l’évolution des espèces, on observe dans les marchés des entrées et des sorties d’entreprises. Elles sont étudiées en utilisant des modèles statistiques, dits de survie, qui identifient et mesurent les déterminants de l’élimination des entreprises. Quelques régularités apparaissent. Par exemple, la probabilité de survie croît avec l’âge des entreprises et décroît avec l’âge de l’industrie. Le premier résultat suggère que les premiers arrivés dans le marché deviennent plus efficaces, ce qui peut s’expliquer par les économies d’apprentissage. Plus l’entreprise est âgée, plus elle a produit, plus elle a produit, plus elle sait produire, plus elle sait produire, plus son coût unitaire est bas. Le second résultat suggère que le seuil d’efficacité que doit atteindre un producteur pour être viable s’élève avec le temps, ce qui peut s’expliquer par le progrès technologique.


Jonathan Pincas/Flickr, CC BY

Un modèle de survie a été appliqué aux opérateurs de remontées mécaniques en Autriche. En 20 ans, près d’un sur dix a fermé avec le domaine skiable qu’il exploitait. Sans surprise, la pérennité est plus grande pour les stations de plus haute altitude. Toutes choses égales par ailleurs, au-delà de 1700 mètres la probabilité de fermeture est six fois moindre. L’absence d’une autre station proche a également un effet positif sur la probabilité de survie, manifestation d’une concurrence locale pour attirer les skieurs. De façon moins attendue, l’analyse économétrique montre que la probabilité de survie est beaucoup plus grande pour les opérateurs de domaine skiable qui ont adopté très tôt les canons à neige.

Ce résultat est toutefois conforme avec la théorie qui prédit que les innovateurs ont des chances de survie supérieures. Notons en passant que le déploiement de canons à neige n’est pas la panacée pour l’adaptation au changement climatique des stations de ski, en particulier celles de taille modeste en faible altitude. Dans les stations des Alpes françaises, une enquête récente estime que près d’un tiers de la surface des pistes est équipée en enneigeurs et que cette proportion n’est pas très différente entre types de station. En revanche, les projets d’extension des canons à neige à l’horizon 2020 sont l’apanage des grandes et hautes stations où ce taux devrait atteindre près de 50 %. La neige de culture nécessite des investissements élevés, elle est très coûteuse à produire et elle exige des températures basses pour être produite.

Le parallèle entre la concurrence industrielle et la compétition sportive permet de souligner un point commun : il s’agit de gagner par le mérite et non en trichant. Le sportif doit se conformer aux règles du jeu et ne pas se doper ; l’entreprise doit se conformer au droit, en particulier au droit de la consommation et au droit de la concurrence. Ce dernier n’interdit pas les positions dominantes et les positions de monopole en tant que telles, mais seulement les abus pour les obtenir ou les maintenir.

Heureusement pour l’économie, car l’obtention ou le maintien d’un pouvoir de marché est l’aiguillon qui pousse les entreprises à réduire leurs coûts et à améliorer la qualité de leurs produits. Mais comme les sportifs, elles doivent le gagner par le mérite et non par des pratiques abusives qui éliminent la concurrence ou trompent les consommateurs. L’autorité de concurrence américaine a par exemple récemment condamné Marker Völkl et Tecnica. Les deux concurrents s’étaient mis d’accord pour ne pas solliciter, recruter ou contacter les skieurs professionnels qui auraient été auparavant sous contrat de sponsoring de l’autre. Bref, une clause de non-concurrence qui accroissait les chances de garder ses vedettes sans en augmenter le coût.

La publicité trompeuse sur la qualité des produits pour berner les consommateurs est également condamnable. Un exemple amusant porte sur l’exagération des chutes de neige par les stations de ski. Deux chercheurs américains ont comparé sur plusieurs saisons les chutes de neige déclarées par les services météo publics d’une part et autodéclarées par les stations de ski sur leurs sites Internet d’autre part. Guess what ? Il y a plus de journées avec des chutes de plus de 20 centimètres selon les stations que selon les services météo, et moins de journées sans chute. La hauteur de neige fraîche autodéclarée est 15 % supérieure à la hauteur observée par le service météorologique fédéral. Ces résultats pouvant être liés à une différence des points de relevés locaux entre les deux sources d’information, les auteurs ont regardé s’il y avait des variations selon les jours de la semaine.

L’écart entre la hauteur de neige fraîche autodéclarée et déclarée s’accentue le samedi et le dimanche. Selon les sites Internet des stations de ski il neigerait donc plus le week-end que les autres jours de la semaine ! Cette aberration météorologique n’est pas économiquement étonnante puisque les stations sont plus incitées à exagérer en fin de semaine pour attirer les skieurs de deux jours, les autres ayant déjà acheté leur forfait hebdomadaire. De plus, l’écart du week-end s’accroît si la station est concurrencée par une autre à moins de 50 miles à la ronde. Une telle pratique n’est évidemment pas une façon de gagner des skieurs par le mérite !

Bravo, vous êtes arrivé à la fin de cette série de leçons pour débutants. Si vous avez tout lu d’un trait, vous avez obtenu votre première étoile d’économie.

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François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisTech

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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