Verra-t-on la fin du ski dès 2050 ?

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Le temps du développement intensif des stations de sports d’hiver, impulsée dans les années 1960 par le « Plan neige », est aujourd’hui révolu. À cette période, l’aménagement de nouveaux sites primait sur les préoccupations relatives à l’enneigement, et les services de l’État privilégiaient l’équipement des sites d’altitude pour construire des stations dites « en site vierge », comme La Plagne, les Arcs ou Tignes.

Dans leur sillage, de nombreuses stations de moyenne montagne ont vu le jour, jusque dans les années 1980, de manière plus diffuse et avec des formes d’aménagement variées. Ces dernières se sont révélées plus exposées à la variabilité naturelle de l’enneigement.

Développement controversé

Cette dynamique d’équipement touristique de la montagne soutenue par les pouvoirs publics (locaux et nationaux) a été, dès son origine, un sujet de controverse entre des acteurs porteurs d’une vision « aménagiste » et ceux davantage orientés vers la préservation de l’environnement.

Dès les années 1970, différents ouvrages ont remis en cause la pertinence de ce choix d’aménagement. La neige empoisonnée (1975) de Danielle Arnaud montre ainsi les limites du modèle économique de la station intégrée, tandis que Bruno Cognat souligne dans La montagne colonisée (1973), l’impact des conditions d’enneigement dont sont tributaires les stations de sports d’hiver.

À la fin des années 1970, les oppositions se cristallisent dans « l’affaire de la Vanoise » qui voit s’affronter les promoteurs de la station de Val Thorens et les défenseurs du jeune Parc national de la Vanoise, créé en 1963. Ce conflit a été fondateur : il a entériné l’idée selon laquelle le développement des stations par les « aménageurs » et la préservation de l’environnement revendiquée par les « protecteurs » étaient définitivement opposés et inconciliables.




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L’enneigement, un enjeu vital

À la fin des années 1980, la succession d’hivers « sans neige » a contribué à relancer ces débats, notamment suite aux rapports Lorit (1991) et Pascal (1993), qui critiquent les choix d’implantation des stations de sports d’hiver. La question de la « garantie neige » devient alors centrale. Le développement des techniques de gestion de la neige dans les domaines skiables commence à se développer jusqu’à devenir des outils ordinaires.

Originellement dédié au confort des skieurs, le damage contribuera à son tour au maintien du manteau neigeux et à la répartition de la neige sur le domaine skiable. Et ces dernières années, le développement d’outils de mesure de hauteur de neige – associées aux travaux de profilage et de lissage des pistes – a permis d’améliorer la « skiabilité », y compris en conditions de moindre enneigement.

Enfin, la neige de culture a pris une part croissante dans la gestion des domaines skiables. On désigne ainsi la production de billes de glace d’un diamètre de quelques dixièmes de millimètres, par pulvérisation de micro-goutelettes d’eau qui se solidifient avant d’atteindre le sol, et dont la consistance est proche de celle de la neige damée. Initialement utilisée en palliatif en cas de déficit d’enneigement, elle est devenue un moyen systématique de préparation des pistes en amont de la saison hivernale, permettant aux exploitants de réduire les risques d’enneigement insuffisant, et d’exploiter au mieux les chutes de neige ultérieures.

Le déploiement de l’ensemble de ces techniques a occasionné de nouveaux investissements, vus comme une nécessité pour les partisans du développement des stations « aménageurs » ou une fuite en avant pour les « protecteurs ».

La menace climatique

Le changement climatique a relancé ces dernières années les débats : pour les « protecteurs », le développement des pratiques de gestion de la neige apparaît comme une hérésie au regard des moyens et ressources naturelles (l’eau principalement) mobilisées pour une activité qui paraît à terme condamnée. Les « aménageurs », eux, mettent en avant le savoir-faire et la capacité de gestion de la neige pour soutenir un secteur critique pour les territoires de montagne.

Les observations effectuées par le Centre d’études de la neige au Col de Porte, à 1325 m d’altitude dans le massif de la Chartreuse (Alpes du Nord), montrent que la hauteur moyenne de neige sur la période 1990-2017 a baissé de 40 cm par rapport à la période 1960-1990. Des observations analogues sont rencontrées en moyenne montagne dans l’ensemble de l’arc alpin.

Les projections climatiques relatives à l’enneigement naturel pour le XXIe siècle ont depuis longtemps mis en évidence les conséquences néfastes du changement climatique sur l’enneigement en moyenne montagne, c’est-à-dire pour les gammes d’altitude les plus proches, actuellement, de la limite pluie/neige moyenne.

Si la raréfaction des conditions d’enneigement naturel est avérée, la généralisation et l’amélioration des techniques de gestion du manteau neigeux ont toutefois permis aux gestionnaires de domaines skiables de composer avec un enneigement réduit. Cette situation renforce encore l’opposition entre les deux visions de l’aménagement de la montagne évoquées plus haut.

L’apport de la recherche

La communauté scientifique s’est saisie de ces problématiques pour mieux comprendre les relations entre les enjeux socio-économiques liés au tourisme en montagne et l’évolution du climat.

En France, des travaux de recherche ont récemment été menés à ce sujet, associant le Centre d’études de la neige (CEN) et le Laboratoire écosystèmes et sociétés en montagne (LESSEM).

Ces laboratoires ont par exemple développé une méthode d’estimation de l’enneigement des domaines skiables ; celle-ci croise des informations sur l’organisation spatiale et l’infrastructure des domaines skiables (réunies dans la base de données « BD Stations ») grâce à l’outil « SAFRAN–Crocus » qui modélise les conditions météorologiques et d’enneigement en montagne.

La combinaison de ces outils permet de calculer, à l’échelle d’un domaine skiable donné, un indice synthétique de fiabilité de l’enneigement (sur une base quotidienne et agrégé à l’échelle de la saison touristique hivernale). La mise en œuvre de tels outils permet également de calculer la consommation d’eau nécessaire pour la production de neige de culture.

La disparition du ski ?

Après avoir étalonné la méthode sur la base des années passées (de 1958 à 2015) et avoir comparé ses résultats à la fréquentation des domaines skiables, celle-ci a été mise en œuvre en utilisant des projections climatiques, obtenues par ajustement des projections climatiques régionales à l’aide d’une méthode développée spécifiquement pour les zones de montagne.

Ceci permet de calculer la fiabilité de l’enneigement des stations de sport d’hiver, en fonction des scénarios climatiques (réduction, modération ou accroissement des émissions de gaz à effet de serre) et des perspectives d’équipement en neige de culture dans les domaines skiables.

La première application de cette méthode a été conduite sur le territoire du département de l’Isère pour analyser l’impact du changement climatique sur les domaines skiables des 23 stations du département. Cette opportunité permettra d’étendre les calculs à l’échelle de l’ensemble des Alpes et jusqu’à la fin du siècle.

Les résultats à l’échelle de l’Isère montrent qu’il existe une corrélation forte entre la fréquentation des domaines skiables et les conditions d’enneigement naturel. Ils montrent aussi qu’avec les taux actuels de couverture moyenne en neige de culture (environ 30 % des surfaces de pistes équipées), la neige de culture a un impact significatif sur la couverture neigeuse des domaines skiables.




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Neige de culture et eau

Produire de la neige de culture implique une consommation d’eau. Celle-ci est allée croissante, suivant le rythme d’extension des surfaces équipées. Dans l’étude que nous avons conduite, cette évolution se poursuit jusqu’en 2025, période à partir de laquelle le besoin en eau continue de croître alors que le taux d’équipement se stabilise.

Dans tous les cas, les conditions réelles d’enneigement n’ont qu’un impact indirect sur la consommation d’eau. En effet la plus grande partie de la neige produite l’est en avant-saison avant de connaître le besoin réel permettant de compenser un éventuel déficit de neige naturelle. La production est donc très peu variable d’une année à l’autre, et le volume total d’eau mobilisé est directement lié à la surface de piste équipée de neige de culture.

De manière générale, tout comme la plupart des effets du changement climatique, à l’échéance de la première moitié du XXIe siècle, les différences entre les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre du GIEC importent peu. En effet, les concentrations actuelles de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et les émissions actuelles de gaz à effet de serre déterminent d’ores et déjà l’évolution des prochaines décennies.

Les projections indiquent un accroissement de la fréquence de retour des années avec un enneigement naturel défavorable (celui rencontré une année sur cinq), atteignant une année sur trois en milieu de XXIe siècle. Les résultats de simulation pour un taux de couverture moyen de 40 % des surfaces en neige de culture indiquent qu’en milieu de siècle les conditions d’enneigement des années les plus défavorables seront comparables aux conditions d’enneigement des années défavorables du début du XXIe siècle, sans neige de culture.

Au-delà de 2050, les différences entre les scénarios jouent un rôle beaucoup plus fort. Alors que dans le scénario où l’humanité atteint la neutralité carbone en milieu de XXIe siècle la situation se stabilise aux niveaux atteints en milieu de siècle, dans le cas de la poursuite de la croissance des émissions de gaz à effet de serre, la neige de culture ne constituera plus, pour une majorité de stations – excepté celles de plus haute altitude – une parade efficace à la réduction drastique de l’enneigement naturel, qui pourra atteindre 80 % en moyenne par rapport aux conditions du début du XXIe siècle.

Encore beaucoup d’inconnues

La question des ressources hydriques, en matière de disponibilité ou de coût, reste très variable d’une station à l’autre, comme l’ont bien montré des travaux de recherche présentés en 2010 et 2015.

L’étude menée pour Isère Tourisme indique qu’avec les projets d’installation de retenues collinaires (stockage d’eau) – réalisées spécialement à cet effet, et les prélèvements dans les barrages hydro-électriques, directement dans les cours d’eau naturels ou dans le surplus du réseau d’adduction d’eau potable –, le risque de conflit d’usage pourrait être marginal. Mais cette question reste encore assez inexplorée alors qu’elle se trouve au cœur même de l’opposition entre « protecteurs » et « aménageurs ».

Les premiers dénoncent une pression irraisonnée sur une ressource elle-même potentiellement menacée par l’évolution du climat alors que les seconds développent la notion d’emprunt temporaire de la ressource utilisée pour la fabrication de neige avant d’être restituée au milieu naturel lors de la fonte.

À l’heure actuelle, aucune étude scientifique prenant considération l’ensemble des usages de l’eau et leurs interactions dans une perspective de co-adaptation n’existe. Des recherches à l’échelle d’un bassin versant intégrant la diversité des usages (eau potable, usages agricoles, protection contre les incendies, loisirs estivaux, etc.) s’avèrent nécessaires pour éclairer ces questions.

Aujourd’hui, si des travaux récents permettent de mesurer de plus en plus précisément les atouts et les limites de la neige de culture pour accompagner l’adaptation des stations des sports d’hiver à la variabilité et au changement climatique, il convient de décliner ces recherches à l’échelle de chaque station.

Les résultats scientifiques doivent par ailleurs être complétés par des analyses socio-économiques complètes, notamment concernant l’influence de la neige de culture sur le modèle économique des stations, et au final le prix des forfaits et l’attractivité touristique.

À l’image des questions transversales soulevées par l’allocation de la ressource en eau, le changement climatique nous invite à dépasser les clivages historiques pour repenser le développement et l’aménagement de la montagne dans sa globalité.


Emmanuelle George, directrice de l’unité de recherche « Développement des territoires montagnards » au centre Irstea de Grenoble, est co-autrice de cet article.

The Conversation

Les travaux présentés dans cet article ont été impulsés sur les fonds propres de l’Irstea Grenoble – UR LESSEM et du Centre d’étude de la neige (UMR CNRM) et se sont prolongés dans le cadre de la thèse de P. Spandre, financée par la région Rhône-Alpes. Le programme de recherche Adamont a été financé par le GICC et le projet Prosnow est soutenu par la Commission européenne dans le cadre du dispositif H2020. Ces travaux ont également reçu le soutien des Labex OSUG et ITEM ainsi que du CDP Trajectories. Ces programmes de recherches sus-cités impliquent directement des partenaires socio-économiques qu’il s’agisse de collectivités locales ayant la charge du service public des remontées mécaniques ou de sociétés, parfois des SEM, qui ont reçu la gestion de ce service par délégation de la collectivité.

Les travaux de recherche menant à cette contribution ont été co-financés par la région Rhône-Alpes (thèse P. Spandre), le projet GICC Adamont, le projet INTERREG POCTEFA Clim’Py, le projet IDEX université Grenoble Alpes Trajectories, le projet LabEX OSUG@2020, le projet européen Prosnow (H2020, convention n°730203) et le contrat Copernicus C3S SIS European Tourism et un contrat avec le département de l’Isère/Isère Tourisme portant sur la faisabilité climatique de la neige de culture dans les stations de sport d’hiver en Isère.

Emmanuelle George does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

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Hugues François, Ingénieur de recherche tourisme et système d’information, Irstea

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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